Ray Oldenburg a dégagé des tiers-lieux huit caractéristiques permettant d’en reconnaître un.
« Les tiers lieux existent sur un terrain neutre et servent à niveler leurs hôtes vers une condition d'égalité sociale.
Dans ces lieux, la conversation est l'activité principale et le principal moyen de montrer et d'apprécier la personnalité et l'individualité de l'homme.
Les tiers lieux sont considérés comme allant de soi et la plupart sont discrests.
Étant donné que les institutions formelles de la société sont plus exigeantes envers l'individu, les tiers lieux sont normalement ouverts en dehors des heures de travail, ainsi qu'à d'autres moments.
Le caractère d'un tiers-lieu est déterminé avant tout par sa clientèle régulière et est marqué par une ambiance ludique, qui contraste avec l'engagement plus sérieux des gens dans d'autres sphères.
Bien qu'il s'agisse d'un environnement radicalement différent de la maison, le tiers lieu est remarquablement similaire à un bon foyer en ce qui concerne le confort psychologique et le soutien qu'il apporte.
Telles sont les caractéristiques des tiers lieux qui semblent être universelles et essentielles à une vie publique informelle vitale.
J'ai noté chacune d'entre elles tour à tour sans tenter de décrire les effets nets que ces différentes caractéristiques peuvent produire ensemble. Je vais maintenant m'intéresser à ces effets. »
The Great Good Place - Ray Oldenburg
Ray Oldenburg voit le terrain neutre comme le lieu permettant à l’amitié de naître ou se développer au mieux.
Une personne peut avoir de nombreux amis mais chacun ne pourra profiter réellement de l’autre que si aucun n’empiète dans la vie de l’autre, par exemple en étant soit l’hôte, soit l’invité.
Il est donc important que tout le monde puisse avoir accès à un tel « terrain neutre » car il pourra y aller et y venir sans aucune obligation.
S’il n’y a pas de terrain neutre, les gens ne sont pas appelés à se rencontrer, empêchant toute cohésion sociale.
Le nom anglais donné à cette caractéristique est « The Third Place Is a Leveler » soit un lieu où « l’on se nivelle » de quelque manière que ce soit.
Oldenburg voit cette caractéristique comme le fait d’accepter toute personne, quel que soit son statut économique ou social, quelles que soient ses compétences ou quel que soit l’apport matériel qu’il pourrait apporter.
Il l’a nommé ainsi en référence aux « Levelers » (« Niveleurs » en français), membres d’un parti d’extrême gauche anglais du 17ème siècle, pendant la guerre civile, à qui il importait l’abolition de toute hiérarchie ou rang social et dont les principaux points de programme étaient :
Oldenburg voir le tiers-lieu comme un lieu d’inclusion par nature de par ce principe d’égalité : « A place that is a leveler is, by its nature, an inclusive place. » … « The surrender of outward status, or leveling, that transforms those who own delivery trucks and those who drive them into equals, is rewarded by acceptance on more humane and less transitory grounds.«
Le terrain neutre et le principe d’ouvertures facilite ce qui sera souvent l’activité principale d’un tiers-lieu : la discussion et la communication entre les membres de sa communauté.
Oldenburg s’appuie entre autres sur les travaux de Tibor Scitovsky, économiste américain ayant étudié l’impact de la consommation sur le bonheur, pour avancer qu’une partie du bonheur des gens est directement lié à la possibilité qu’ils ont de pouvoir communiquer ouvertement sur un terrain neutre.
Il note ainsi que les lieux de socialisation en Europe sont beaucoup plus fréquentés qu’aux Etats-Unis, ce qui amène les touristes allant aux USA à être vus comme des moulins à paroles, l’activité principale des européens dans ces lieux n’étant pas de boire mais de discuter.
C’est une chose enviée par des hommes de lettre américains tels que Ralph Waldo Emmerson, chef de fil du mouvement transcendataliste, philosophie partant du fait que l’homme est bon par nature et qu’une communauté ne peut être composée que de personnes autonomes et indépendantes.
Emerson voyait Paris comme le « centre social du monde » car : “supreme merit is that it is the city of conversation and cafes.” : son mérite suprême est que c’est la ville des conversations et des cafés.
Oldenburg se base entres autres sur le travaux du sociologue américain Philip Slater pour expliquer que, idéalement, le tiers-lieu est un lieu accessible à tout moment du jour ou de la nuit, dans lequel il y aura toujours une chance de rencontrer une personne amie ou avec qui il sera possible de discuter.
Le tiers-lieu étant un échappatoire, il doit être accessible lorsqu’il est possible de s’évader des deux autres lieux, quel que soit ce moment.
Pour Oldenburg, les autres caractéristiques sont secondaires.
Ce qui est primordial dans un lieu pour qu’il soit tiers-lieu est le noyau dur le fréquentant et que chaque membre puisse y aller en sachant qu’il y trouvera un membre de sa communauté, qu’il sera heureux de retrouver.
Ce sera ce noyau dur qui donnera le ton du tiers-lieu et qui donnera envie à d’autres de le rejoindre.
Il soulève le problème qu’une telle communauté puisse alors sembler plus homogène et fermée que ce qu’elle ne l’est réellement. Il sera difficile à un étranger de rentrer dans le lieu et tenter une approche car il y a une confiance à créer là où une personne introduite par un membre de la communauté l’aura quasi immédiatement.
Les tiers-lieux sont des endroits simples, voire frugaux, rarement revendiqués et dont l’apparence rendra souvent difficile la démonstration de l’importance de tels lieux.
Ce sont des endroits où sera d’abord travaillé le fond avant la forme et ce seront donc d’autres facteurs qui seront à prendre en compte dans la recherche de convivialité que ce que l’on recherchera dans des lieux de réunions classiques.
Les lieux les plus récents ont le moins de chance d’être des tiers-lieux car ces lieux seront créés à certaines fins de profits : ils se placeront à un endroit en vue, cherchant à capitaliser sur le nombre de personnes passant par le lieux. De plus, ces lieux auront plus tendances à avoir une politique intérieure et une hiérarchie, amenant parfois à voir se reproduire ces lieux sous formes de succursales.
Tout cela découragera une réelle communauté à s’installer dans un tel lieu pour le transformer en réel tiers-lieu, un « temple de l’amitié », pour reprendre les termes de Emerson et Oldenburg.
La frugalité d’un tiers-lieu peut être vue comme une protection car elle fera éviter les visiteurs ponctuels ou de passage et fera préférer les personnes proches, permettant à chaque personne d’un groupe de mieux profiter de la présence de l’autre.
Enfin, cette simplicité est un niveleur car elle appelle à l’abandon des prétentions sociales, voire appelle à la non-prétention plus simplement.
Néanmoins, le profil d’un tiers-lieu sera en parallèle avec les profils des personnes le fréquentant, le tiers-lieu devenant une attente agréable et routinière dans la vie de chacun.
Qu’elle soit évidente ou subtile, l’ambiance générale dans un tiers-lieu se devra d’être enjouée et ludique, en réponse à l’anxiété et au renfermement auxquels les gens sont confrontés dans leur quotidien.
Cet esprit ludique est très important, c’est l’élément qui rendra le moment « magique », donnant envie de dire « On remet ça! » aux participants.
Le tiers-lieu est un monde extraordinaire au sein d’un monde ordinaire, avec ses propres règles, où le sentiment d’être « séparés ensemble » en partageant quelque chose d’important et d’exceptionnel qui fera conserver cette magie au-delà de la rencontre.
Le tiers-lieu sera pour celui qui le fréquente le moyen de quitter les soucis du premier lieu (propriétaire, factures, huissiers, conjoint, enfants…) afin de se créer une nouvelle famille, des amis, avec qui n'avoir à partager directement aucun soucis des premier et second lieux.
Il faut se rendre compte que ce qu'il caractérise à l'époque est quelque chose que nous ne sommes pas censés avoir à créer puisque c'est très exactement ce que, lui, américain, envie à l'Europe, c'est à dire nous.
Le « tiers-lieu » n'est donc censé être qu'un nom donné pour décrire un type de lieu tellement commun chez nous que nous n'aurions jamais pensé à lui donner un nom spécifique.